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IA & IMAGES: ENTRETIEN AVEC UN GRAPHISTE

L’évolution de la génération d’image par IA est devenue spectaculaire et exponentielle. Au point qu’elle suscite des inquiétudes légitimes auprès des professionnels des domaines de l’illustration, de l’image de synthèse et de la vidéo. Franck Pitarch travaillant dans ces trois secteurs nous donne sa vision de cette révolution en cours. Son avis étant surprenant, je lui ai demandé d’illustrer l’article avec une création utilisant l’IA.

 

Synaps : Peux-tu te présenter rapidement ?

Franck Pitarch : J’ai commencé a dessiner tout môme, adolescent je réalisais des BD et des illustrations pour des fanzines punks, je suis arrivé à Paris en même temps que sortait les premier outils d’infographie. J’ai plongé dedans passionnément. J’ai commencé à travailler pour de l’habillage TV, puis je suis passé à la 3D et au compositing. Depuis quelque temps je délaisse l’aspect trop technique de la 3D pour revenir à l’illustration et son coté plus artistique.

Synaps : Quelles sont tes réactions face à l’émergence fulgurante de l’IA dans ces domaines ?

Franck Pitarch : D’abord un émerveillement face à l’outil ! Qui pouvait imaginer il y a seulement cinq ans que l’ont pourrait générer des images en tapant un prompt ? L’humanité ne cesse de m’impressionner par sa créativité technologique. Malheureusement elle utilise généralement ce génie pour se détruire et hélas je ne pense pas que l’IA sera l’exception.

L’outil est génial mais son utilisation me laisse pour l’instant assez pantois. Quant on accède aux galeries des sites permettant de générer des images, ce que l’on voit est certes surprenant techniquement, mais quel ennui ! Quel manque d’imagination de la part des utilisateurs ! Aussi bien dans l’inspiration que dans le style. Nous avons une ribambelle d’illustrateurs merveilleusement doués qui ont humainement la capacité à générer ce type d’images, pourquoi utiliser un nouvel outil pour faire le même travail ? Il n’y a là rien de créatif, surtout qu’au final ces IA ne font que se servir des millions d’images présentes dans le big data, donc rien n’est vraiment nouveau juste du mash-up sans âme.

Ce qui m’intéresse dans cet outil c’est justement ce qu’il ne sait pas faire ! Comme tu l’as fais remarquer dans un de tes article, l’IA gère de la syntaxe mais n’entrave rien à la sémantique. Elle « dessine » bien mais ne sait pas ce qu’elle dessine ! J’aime me servir de cet « autisme » pour générer des accidents, des trucs qui ne passeraient par la tête de personne normalement construit ! Plutôt que de chercher le prompt qui va me donner une image parfaite mais sans âme, je trompe l’IA, l’induit en erreur. Après bien-sûr je m’empare du résultat pour y ajouter ma présence humaine et artistique. De la même manière qu’en 3D. Les images 3D sont généralement insuffisantes, trop sèches, ils faut les retoucher pour leur donner un coté plus organiques. C’est la même chose avec ce que produit l’IA, ont se doit en tant qu’artiste et être humain de rajouter sa touche, sinon à quoi sert-on ?

Pour ce qui est de l’utilisation dans de l’IA dans le compositing, les outils que j’ai entre-aperçu sont plus pragmatiques. Quiconque à passé une journée entière à rotoscoper un personnage se déplaçant ne peut qu’être heureux que cela se fasse maintenant si facilement et efficacement. Évidemment ce sont des heures de  travail qui ne sont plus réalisées et donc payées ! À mon avis c’est dans le domaine de la 3D, beaucoup plus « mathématisable » que l’IA va faire le plus de mal aux professionnels. La question philosophique qui se pose est : Un travail fournit sans efforts a-t-il une qualité autre que monétaire ?

Synaps : Beaucoup d’illustrateurs demandent une régulation de l’utilisation de leurs oeuvres utilisées par le big data pour nourrir l’IA. Qu’en penses tu ?

Franck Pitarch : Quelqu’un y croit sérieusement ? D’abord la politique est dictée par ceux qui ont l’oseille, donc c’est plié ! Ensuite ont peut se demander quelle est la validité de cette demande ? Toutes oeuvres est inspirée par la multitude des précédentes, de quel droit un artiste peut prétendre à ne pas servir d’inspiration ? C’est un peu… Prétentieux comme demande ! Franchement imagines des droits d’auteur sur la roue ! Je trouve cela un peu étrange comme demande. Je sais bien, ils y en à qui se font du fric sur tes créations, mais quoi tu ne créer que pour une histoire de fric ? Et puis quoi, qui est l’artiste qui à créer ses propres outils ? Si ont interdisait aux peintres l’utilisation des pinceaux et de la peinture sous prétexte qu’ils ne les ont pas inventé…

Synaps : Mais l’impact sur le travail des créateurs va être terrible, non ?

Franck Pitarch : Un carnage que l’on ne fait qu’entrevoir ! Mais quelque part c’est un faux problème. Qu’est qui motive un artiste ? Le fric ? Non, c’est la création, et ça personne ne lui enlève. Pas même l’IA. Le problème n’a aucun rapport avec l’IA mais avec la façon dont ont doit « gagner sa vie » ! Le terme est horrible ! Ce qui inquiète les artistes ce n’est pas l’IA, mais comment ils vont payer leur loyer et leur bouffe si l’IA fait leur travail. Ce n’est pas l’IA le problème, mais le modèle de nos sociétés! Toute personne doit être utile au collectif et doit avoir les moyen de vivre décemment. Avant même l’arrivée de l’IA, il était évident que le numérique nécessitait une refonte de nos modèles de sociétés! Mais tant qu’elle sera dirigée par des banquiers ce sera la merde à tous les niveaux ! La seule volonté d’un banquier est de tout posséder, même nos âmes. Rien ne sera possible tant que nous ne les auront pas empêché de nuire ! Rien à voir avec l’IA !

Synaps : Un mot de la fin ?

Franck Pitarch : L’IA, dans tous les domaines, est une révolution en marche et il est impossible d’imaginer les changements qu’elle va produire. Le feu, la roue, l’imprimerie, toutes les nouvelles technologies créent des révolutions incroyables!

Deux points pour terminer; 1/ si tout le monde peut le faire, ça ne vaut pas grand chose. 2/ Gardons à l’esprit que ce qui est terriblement important est : Dans quel monde souhaitons nous vivre !

Infographie: Franck Pitarch